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Cheri (Dual-Language) Page 10


  “Oui. . . .”

  “C’est égal”, songeait-elle, “cette empoisonneuse de Marie-Laure l’a proprement traité de barbeau . . .”.

  “Il y a du fromage à la crème, Nounoune?

  — Oui. . . .”

  “. . . et il n’a pas plus sauté en l’air que si elle lui jetait une fleur. . . .”

  “Nounoune, tu me donneras l’adresse? l’adresse des cœurs à la crème, pour mon nouveau cuisinier que j’ai engagé pour octobre?

  —Penses-tu! on les fait ici. Un cuisinier, voyez sauce aux moules et vol-au-vent!”

  “. . . il est vrai que depuis cinq ans, j’entretiens à peu près cet enfant. . . . Mais il a tout de même trois cent mille francs de rente. Voilà. Est-on un barbeau quand on a trois cent mille francs de rente? Ça ne dépend pas du chiffre, ça dépend de la mentalité. . . . Il y a des types à qui j’aurais pu donner un demi-million et qui ne seraient pas pour cela des barbeaux. . . . Mais Chéri? et pourtant, je ne lui ai jamais donné d’argent. . . . Tout de même. . . .”

  “Tout de même, éclata-t-elle . . . elle t’a traité de maquereau!

  — Qui ça?

  “Those much talked-about sugar-cane plantations that the late little Prince Ceste left Marie-Laure in his will . . .”

  “Yes . . .”

  “Forged will. Ceste family very upset! Possible lawsuit! Get it?”

  He was jubilant.

  “I get it, but how did you find out about all this?”

  “Oh. Like this: Old Lili has just fallen with all her weight for junior Ceste, who’s seventeen and has religious leanings . . .”

  “Old Lili? How horrible!”

  “And junior Ceste whispered that love story to her in between kisses . . .”

  “Chéri! I’m feeling faint!”

  “And old Lili tipped me off about it on Mother’s open-house day, last Sunday. Old Lili just adores me! She respects me no end, because I never wanted to sleep with her!”

  “I should hope not,” Léa sighed. “All the same . . .”

  She was reflecting, and it seemed to Chéri that she wasn’t sufficiently enthusiastic.

  “Well, say it, am I wonderful, or am I? Say it!”

  He was leaning over the table and the white cloth; the chinaware, on which the sun was playing, illuminated him like footlights.

  “Yes . . .”

  “All the same,” she was thinking, “that murderess Marie-Laure came out and called him a pimp . . .”

  “Is there any cream cheese, Nursie?”

  “Yes . . .”

  “And he didn’t get any more riled up than if she had thrown a flower at him . . .”

  “Nursie, please give me the address—the place where you get these heart-shaped cream cheeses—for the new cook I’ve hired for October.”

  “What an idea! They’re made right in the house. Without a cook, would I have mussel sauce or vol-au-vent?”

  “It’s true that for five years I’ve practically been supporting this boy . . . But he does have a yearly income of three hundred thousand francs. So there! Is someone a pimp when he has an income of three hundred thousand francs? It doesn’t depend on the amount, it depends on his frame of mind . . . There are men whom I might have given a half-million, but that still wouldn’t have made them pimps . . . But Chéri? And yet I never gave him money . . . But all the same . . .”

  “All the same,” she suddenly said out loud, “she called you a procurer!”

  “Who did?”

  — Marie-Laure!”

  Il s’épanouit et eut l’air d’un enfant:

  “N’est-ce pas? n’est-ce pas, Nounoune, c’est bien ça qu’elle a voulu dire?

  — Il me semble!”

  Chéri leva son verre empli d’un vin de Château-Chalon, coloré comme de l’eau-de-vie:

  “Vive Marie-Laure! Quel compliment, hein! Et qu’on m’en dise autant quand j’aurai ton âge, je n’en demande pas plus!

  — Si ça suffit à ton bonheur. . . .”

  Elle l’écouta distraitement jusqu’à la fin du déjeuner. Habitué aux demi-silences de sa sage amie, il se contenta des apostrophes maternelles et quotidiennes: “Prends le pain le plus cuit. . . . Ne mange pas tant de mie fraîche. . . . Tu n’as jamais su choisir un fruit . . .” tandis que, maussade en secret, elle se gourmandait: “Il faudrait pourtant que je sache ce que je veux! Qu’est-ce que j’aurais voulu? Qu’il se dresse en pied: “Madame, vous m’insultez! Madame, je ne suis pas ce que vous croyez!” Au fond, je suis responsable. Je l’ai élevé à la coque, je l’ai gavé de tout. . . . A qui l’idée serait-elle venue qu’il aurait un jour l’envie de jouer au père de famille? Elle ne m’est pas venue, à moi! En admettant qu’elle me soit venue, comme dit Patron: “le sang, c’est le sang!” Même s’il avait accepté les propositions de Liane, il n’aurait fait qu’un tour, le sang de Patron, si on avait parlé de marée à portée de ses oreilles. Mais Chéri, il a du sang de Chéri, lui. Il a. . . .”

  “Qu’est-ce que tu disais, petit? s’interrompit-elle, je n’écoutais pas.

  — Je disais que jamais, tu m’entends, jamais rien ne m’aura fait rigoler comme mon histoire avec Marie-Laure!”

  “Voilà, acheva Léa en elle-même, lui, ça le fait rigoler.”

  Elle se leva d’un mouvement las. Chéri passa un bras sous sa taille, mais elle l’écarta.

  “C’est quel jour, ton mariage, déjà?

  — Lundi en huit.”

  Il semblait si innocent et si détaché qu’elle s’effara:

  “C’est fantastique!

  — Pourquoi fantastique, Nounoune?

  — Tu n’as réellement pas l’air d’y songer!

  — Je n’y songe pas, dit-il d’une voix tranquille. Tout est réglé. Cérémonie à deux heures, comme ça on ne s’affole pas pour le grand déjeuner. Five o’clock chez Charlotte Peloux. Et puis les sleepings, l’Italie, les lacs. . . .

  “Marie-Laure!”

  He beamed and looked like a child:

  “She did, didn’t she? Didn’t she, Nursie? Is that what she meant?”

  “I believe so!”

  Chéri raised his glass of Château-Chalon wine, which was deep-colored as brandy:

  “Here’s to Marie-Laure! Say, what a compliment! Let people call me that when I’m as old as you, that’s all I ask!”

  “If that’s enough to make you happy . . .”

  She listened to him only absentmindedly till lunch was over. He, accustomed to the intermittent silences of his sagacious friend, was contented with her usual brief maternal admonitions: “Take the crust of the bread . . . Don’t eat so much of the soft part . . . You’ve never learned how to pick out a fruit.” Meanwhile, secretly grumpy, she was reprimanding herself: “I’ve just got to decide what I really want! What would I have liked him to do? To stand up to her: ‘Madame, you’re insulting me! Madame, I’m not what you think!’ After all, I’m responsible. I pampered him with the best of everything, I filled his tummy . . . Who would ever have thought that one day he’d feel like playing the role of father figure? I never did, anyway! And even if I had had the idea, it’s as Patron says: ‘It depends on what’s in your blood!’ Even if Patron had accepted Liane’s propositions, he would have boiled over with anger if anyone had mentioned pimps or gigolos in his hearing. But Chéri has the blood of Chéri. He has . . .”

  “What were you saying, little one?” she interrupted her thoughts. “I wasn’t listening.”

  “I was saying that nothing—you hear—nothing will ever tickle me like that business with Marie-Laure!”

  “There you go!” Léa concluded her train of thought. “It merely tickles him.”

  She got up wearily. Chéri put an arm around her waist, but she brushed it away.

  “Tell me again, what day are you getting married?”

  “A week from Monday.”

  He seemed so innocent and carefree that she got frightened:

  “It’s amazing!”

  “Why amazing, Nursie?”
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  “You really look as if it’s not on your mind!”

  “It isn’t on my mind,” he said calmly. “Everything’s arranged. Ceremony at two; that way, there’s no flurry over a big luncheon. Five-o’clock tea at Charlotte Peloux’s. And then the sleeping cars, Italy, the lakes . . .”

  — Ça se reporte donc, les lacs?

  — Ça se reporte. Des villas, des hôtels, des autos, des restaurants . . . Monte-Carlo, quoi!

  — Mais elle! il y a elle. . . .

  — Bien sûr, il y a elle. Il n’y a pas beaucoup elle, mais il y a elle.

  — Et il n’y a plus moi.”

  Chéri n’attendait pas la petite phrase et le laissa voir. Un tournoiement maladif des prunelles, une décoloration soudaine de la bouche le défigurèrent. Il reprit haleine avec précaution pour qu’elle ne l’entendît pas respirer et redevint pareil à lui-même:

  “Nounoune, il y aura toujours toi.

  — Monsieur me comble.

  — Il y aura toujours toi, Nounoune . . . — il rit maladroitement — dès que j’aurai besoin que tu me rendes un service.”

  Elle ne répondit rien. Elle se pencha pour ramasser une fourche d’écaille tombée et l’enfonça dans ses cheveux en chantonnant. Elle prolongea sa chanson avec complaisance devant un miroir, fière de se dompter si aisément, d’escamoter la seule minute émue de leur séparation, fière d’avoir retenu les mots qu’il ne faut pas dire: “Parle . . . mendie, exige, suspends-toi . . . tu viens de me rendre heureuse. . . .”

  MME Peloux avait dû parler beaucoup et longtemps, avant l’entrée de Léa. Le feu de ses pommettes ajoutait à l’éclat de ses grands yeux qui n’exprimaient jamais que le guet, l’attention indiscrète et impénétrable. Elle portait ce dimanche-là une robe d’après-midi noire à jupe très étroite, et personne ne pouvait ignorer que ses pieds étaient très petits ni qu’elle avait le ventre remonté dans l’estomac. Elle s’arrêta de parler, but une gorgée dans le calice mince qui tiédissait dans sa paume et pencha la tête vers Léa avec une langueur heureuse.

  “Crois-tu qu’il fait beau? Ce temps! ce temps! Dirait-on qu’on est en octobre?

  — Ah! non? . . . Pour sûr que non!” répondirent deux voix serviles.

  Un fleuve de sauges rouges tournait mollement le long de l’allée, entre des rives d’asters d’un mauve presque gris. Des papillons souci volaient comme en été, mais l’odeur des chrysanthèmes chauffés au soleil entrait dans le hall ouvert. Un bouleau jaune tremblait au vent, au-dessus d’une roseraie de bengale qui retenait les dernières abeilles.

  “Et qu’est-ce que c’est, clama Mme Peloux soudain lyrique, qu’est-

  “So a lake honeymoon is back in style?”

  “Yes, it is. Villas, hotels, cars, restaurants . . . like Monte Carlo!”

  “But what about her? She’s a part of all that . . .”

  “Of course, she’s a part of it. Not a very big part, but she is a part.”

  “But I’m no longer any part of it.”

  Chéri wasn’t expecting that little utterance, and he showed it. A sickly turning up of his eyes and a sudden lack of color on his lips made him look ugly. He caught his breath again carefully, so she wouldn’t hear him breathe, and then he became himself once more:

  “Nursie, there’ll always be you.”

  “You’re much too good to me.”

  “There’ll always be you, Nursie . . .,” he laughed clumsily, “as soon as I need you to do me a favor.”

  She made no reply. She stooped down to pick up a tortoise-shell comb that had fallen, and she put it back in her hair, humming. She kept up her song in self-satisfaction in front of her mirror, proud that she had regained her self-control so easily, proud of disguising the only emotional moment of their separation, proud of having kept back the words that mustn’t be spoken: “Speak . . . beg, make demands, cling to me . . . you’ve just made me happy.”

  MADAME Peloux must have been speaking a lot, for a long time, before Léa came in. The flush on her cheeks added to the gleam of her large eyes, which never expressed anything but watchfulness, indiscreet and inscrutable attention. That Sunday she was wearing a black afternoon gown with a very tight skirt, and no one could fail to notice that her feet were very small and her belly was pulled in. She stopped speaking, took a sip from the thin glass she was warming in the palm of her hand, and leaned her head toward Léa in blissful languor.

  “Do you believe how nice it is out? What weather! What weather! Would anyone think it was October?”

  “Oh, no . . . Definitely not!” replied two servile voices.

  A river of red salvia gently flowed down the garden path between banks of asters of an almost gray mauve. Orange-red sulphur butterflies flitted about as if it were summer, and the fragrance of the sunbaked chrysanthemums entered the open garden room. A yellow birch was quaking in the breeze above a clump of China roses that was detaining the last bees.

  “But how does it compare?” exclaimed Madame Peloux, who was

  ce que c’est que ce temps, à côté de celui qu’ils doivent avoir en Italie!

  — Le fait est. . . . Vous pensez! . . .” répondirent les voix serviles.

  Léa tourna la tête vers les voix en fronçant les sourcils:

  “Si au moins elles ne parlaient pas”, murmura-t-elle.

  Assises à une table de jeu, la baronne de la Berche et Mme Aldonza jouaient au piquet. Mme Aldonza, une très vieille danseuse, aux jambes emmaillotées, souffrait de rhumatisme déformant, et portait de travers sa perruque d’un noir laqué. En face d’elle et la dominant d’une tête et demie, la baronne de la Berche carrait d’inflexibles épaules de curé paysan, un grand visage que la vieillesse virilisait à faire peur. Elle n’était que poils dans les oreilles, buissons dans le nez et sur la lèvre, phalanges velues. . . .

  “Baronne, vous ne coupez pas à mon quatre-vingt-dix, chevrota Mme Aldonza.

  — Marquez, marquez, ma bonne amie. Ce que je veux, moi, c’est que tout le monde soit content.”

  Elle bénissait sans trêve et cachait une cruauté sauvage. Léa la considéra comme pour la première fois, avec dégoût, et ramena son regard vers Mme Peloux.

  “Au moins, Charlotte a une apparence humaine, elle. . . .”

  “Qu’est-ce que tu as, ma Léa? Tu n’as pas l’air dans ton assiette?” interrogea tendrement Mme Peloux.

  Léa cambra sa belle taille et répondit:

  “Mais si, ma Lolotte. . . . Il fait si bon chez toi que je me laisse vivre . . .” tout en songeant: “Attention . . . la férocité est là aussi . . .” et elle mit sur son visage une impression de bien-être complaisant, de rêverie repue, qu’elle souligna en soupirant:

  “J’ai trop mangé . . . je veux maigrir, là! Demain, je commence un régime.”

  Mme Peloux battit l’air et minauda:

  “Le chagrin ne te suffit donc pas?

  — Ah! Ah! Ah! s’esclaffèrent Mme Aldonza et la baronne de la Berche. Ah! Ah! Ah!”

  Léa se leva, grande dans sa robe d’automne d’un vert sourd, belle sous son chapeau de satin bordé de loutre, jeune parmi ces décombres qu’elle parcourut d’un œil doux:

  “Ah! là là, mes enfants . . . donnez-m’en douze, de ces chagrins-là, que je perde un kilo!

  — T’es épatante, Léa, lui jeta la baronne dans une bouffée de fumée.

  suddenly lyrical. “How does this weather compare to the weather they must be having in Italy?”

  “Yes, indeed . . . Just imagine!” replied the servile voices.

  Léa turned her head in the direction of the voices, knitting her brow:

  “If only they didn’t speak, at least,” she murmured.

  Seated at a card table, the Baroness de la Berche and Madame Aldonza were playing piquet. Madame Aldonza, a very old ballerina with swathed legs, suffered from crippling rheumatism; her lacquer-black wig was on crooked. Opposite her, and towering a head and a half over her, the Baroness de la Berche had inflexible square shoulders like those of a peasant priest, and
a large face that her age made frighteningly masculine. She was all hair in the ears, tufts in the nose and over the lips, furry fingers . . .

  “Baroness, you’re not going to get away from my ninety points,” Madame Aldonza bleated shakily.

  “Mark it down, mark it down, dear friend. All I want is for everyone to be happy.”

  She was constantly showering blessings, but underneath it she was savagely cruel. Léa observed her as if for the first time and felt disgusted; then she brought her eyes back to Madame Peloux.

  “At least Charlotte looks like a human being . . .”

  “What’s wrong, Léa? You don’t seem altogether yourself,” said Madame Peloux warmly.

  Léa thrust out her beautiful bosom and replied:

  “I’m all right, Lolotte . . . It’s so comfortable here at your place that I’m just letting myself drift . . .” But at the same time she was thinking: “Watch out! There’s something savage behind her remarks, too.” And her face took on an expression of self-contented peace of mind, a well-fed dreaminess, which she emphasized by sighing:

  “I ate too much . . . I want to get thinner, that’s what it is! Tomorrow I’ll go on a diet.”

  Madame Peloux flapped her arms and said mincingly:

  “Isn’t your heartbreak enough for you?”

  “Ha! Ha! Ha!” Madame Aldonza and the Baroness de la Berche guffawed. “Ha! Ha! Ha!”

  Léa stood up, tall in her dull-green fall dress, beautiful in her otter-trimmed satin hat, young in the midst of that detritus which she ran her calm eyes over:

  “Oh, ho, children . . . give me twelve such heartbreaks, so I can lose a couple of pounds!”

  “You’re remarkable, Léa,” said the baroness through a puff of smoke.

  — Madame Léa, après vous ce chapeau-là, quand vous le jetterez? mendia la vieille Aldonza. Madame Charlotte, vous vous souvenez, votre bleu? Il m’a fait deux ans. Baronne, quand vous aurez fini de faire de l’œil à Madame Léa, vous me donnerez des cartes?

  — Voilà, ma mignonne, en vous les souhaitant heureuses!”

  Léa se tint un moment sur le seuil du hall, puis descendit dans le jardin. Elle cueillit une rose de Bengale qui s’effeuilla, écouta le vent dans le bouleau, les tramways de l’avenue, le sifflet d’un train de Ceinture. Le banc où elle s’assit était tiède et elle ferma les yeux, laissant le soleil lui chauffer les épaules. Quand elle rouvrit les yeux, elle tourna la tête précipitamment vers la maison, avec la certitude qu’elle allait voir Chéri debout sur le seuil du hall, appuyé de l’épaule à la porte. . . .