Cheri Read online
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“Ah! l’imbécile! . . .” soupira-t-elle.
Mais elle pardonnait à ce passant sa niaiserie, et ne lui faisait grief que d’avoir déplu. Dans sa mémoire de femme saine au corps oublieux, monsieur Roland n’était plus qu’une forte bête un peu ridicule, et qui s’était montrée si maladroite. . . . Léa eût nié, à présent, qu’un flot aveuglant de larmes,—certain soir de pluie où l’averse roulait parfumée sur des géraniums-rosats, — lui avait caché monsieur Roland, un instant, derrière l’image de Chéri. . . .
La brève recontre ne laissait à Léa ni regrets, ni gêne. L’ “imbécile” et sa vieille follette de mère auraient trouvé chez elle, après comme avant, dans la villa louée à Cambo, les goûters bien servis, les rockings sur le balcon de bois, le confort aimable que savait dispenser Léa et dont elle tirait fierté. Mais l’imbécile, blessé, s’en était allé, laissant Léa aux soins d’un raide et bel officier grisonnant qui prétendait épouser “Mme de Lonval”.
“Nos âges, nos fortunes, nos goûts d’indépendance et de mondanité, tout ne nous destine-t-il pas l’un à l’autre?” disait à Léa le colonel resté mince.
whether moving three times is as bad as a fire, but I’m sure that being away six months is as bad as a flood. Have you seen the lace curtain?”
“That’s nothing . . . You haven’t seen the linen closet yet, madame: mouse droppings everywhere and the parquet nibbled up. And I find it really curious that I left Emérancie with twenty-eight glass cloths and I find only twenty-two.”
“Really?”
“It’s as I say, madame.”
They looked at each other with the same indignation, attached as they both were to that comfortable house, with its noise-absorbing carpets and silk hangings, its filled armoires, and its enamel-painted basement spaces. Léa slapped her knee with her strong hand.
“Things are going to change, my dear! If Ernest and Emérancie don’t want their week’s notice, they’ll find those six glass cloths. And that big ninny Marcel, did you write him telling him to be back?”
“He’s here, madame.”
Dressing quickly, Léa opened the windows and rested her elbows on the sill, so she could cozily observe her avenue, with the new foliage on its trees. No more flattering old maids, and no more Monsieur Roland, that heavy-set, athletic young man at Cambo11 . . .
“Oh, that fool! . . .” she sighed.
But she forgave that transitory lover for his stupidity; all that she held against him was that he hadn’t satisfied her. In her memory, that of a healthy woman with a body that quickly forgets, Monsieur Roland was by this time merely a strong, somewhat ridiculous animal who had proved to be so clumsy . . . At present, Léa would have denied the fact that, one rainy evening when a scent-laden shower was soaking the rose geraniums, a blinding flow of tears had for a moment replaced Monsieur Roland with the image of Chéri . . .
The brief encounter had left Léa with neither regrets nor embarrassment. The “fool” and his giddy old mother would still have found, if they visited her in the rented villa at Cambo, those well-served meals, the rocking-chairs on the wooden balcony, the loving comfort that Léa was so good at dispensing and that she was so proud of. But the fool’s feelings had been hurt, and he had gone away, leaving Léa in the care of a handsome, starched, gray-haired officer who wanted to marry “Madame de Lonval.”
“Do not our ages, our fortunes, our tastes for independence and worldliness, do not all things destine us for each other?” the colonel, who had remained thin, would say to Léa.
* * *
11. Cambo-les-Bains, a spa in the Pyrenees near Bayonne.
Elle riait, elle prenait du plaisir à la compagnie de cet homme assez sec qui mangeait bien et buvait sans se griser. Il s’y trompa, lut dans les beaux yeux bleus, dans le sourire confiant et prolongé de son hôtesse, le consentement qu’elle tardait à donner. . . . Un geste précis marqua la fin de leur amitié commençante, que Léa regretta en s’accusant honnêtement dans son for intérieur.
“C’est ma faute! On ne traite pas un colonel Ypoustègue, d’une vieille famille basque, comme un monsieur Roland. Pour l’avoir remisé, je l’ai ce qui s’appelle remisé. . . . Il aurait agi en homme chic et en homme d’esprit s’il était revenu le lendemain, dans son break, fumer un cigare chez moi et lutiner mes vieilles filles. . . .”
Elle ne s’avisait pas qu’un homme mûr accepte un congé, mais non pas certains coups d’œil qui le jaugent physiquement, qui le comparent clairement à un autre, à l’inconnu, à l’invisible. . . .
Léa, embrassée à l’improviste, n’avait pas retenu ce terrible et long regard de la femme qui sait à quelles places l’âge impose à l’homme sa flétrissure: des mains sèches et soignées, sillonnées de tendons et de veines, ses yeux remontèrent au menton détendu, au front barré de rides, revinrent cruellement à la bouche prise entre des guillemets de rides. . . . Et toute la distinction de la “baronne de Lonval” creva dans un: “Ah! là! là! . . .” si outrageant, si explicite et populacier, que le beau colonel Ypoustègue passa le seuil pour la dernière fois.
“Mes dernières idylles”, songeait Léa accoudée à la fenêtre. Mais le beau temps parisien, l’aspect de la cour propre et sonore et des lauriers en boules rondes dans leurs caisses vertes, la bouffée tiède et odorante qui s’évadait de la chambre en caressant sa nuque, la remplissaient peu à peu de malice et de bonne humeur. Des silhouettes de femmes passaient, descendant vers le Bois. “Voilà encore les jupes qui changent”, constata Léa, “et les chapeaux qui montent”. Elle projeta des visites chez le couturier, chez Lewis, une brusque envie d’être belle la redressa.
“Belle? Pour qui? Tiens, pour moi. Et puis, pour vexer la mère Peloux.”
Léa n’ignorait pas la fuite de Chéri, mais elle ne savait que sa fuite. Tout en blâmant les procédés de police de Mme Peloux, elle tolérait qu’une jeune vendeuse de modes, qu’elle gâtait, épanchât sa gratitude adroite en potins versés dans l’oreille de Léa pendant l’essayage, ou consignés avec “mille mercis pour les exquis chocolats” en travers d’une grande feuille à en-tête commercial. Une carte postale de la
She’d laugh and find pleasure in the company of that quite slender man who ate heartily and drank without becoming tipsy. He interpreted this the wrong way, reading in his hostess’s beautiful blue eyes and prolonged, confiding smile the consent which she was slow to give . . . A specific incident spelled finis to their budding friendship, an incident that Léa regretted, blaming herself for it in her mind.
“It was my fault. A woman doesn’t treat a Colonel Ypoustègue, of an old Basque family, the way she treats a Monsieur Roland. I sure enough gave him the gate . . . He would have behaved like a clever man and a man of the world if he had come back the next day in his break to smoke a cigar at my place and tease my old maids . . .”
She didn’t realize that a middle-aged man might accept a refusal, but not certain glances that size him up physically, clearly comparing him with another man, unknown, unseen . . .
When she was unexpectedly kissed, Léa hadn’t held back that terrible long look which a woman gives when she knows in what places age withers up a man: from the dry, carefully tended hands, furrowed with tendons and veins, her eyes had climbed to the slack chin, the forehead lined with wrinkles, then had returned cruelly to the mouth enclosed by wrinkles as if by quotation marks . . . And all the distinguished bearing of the “Baroness de Lonval” had exploded in a cry of “No way!” that was so insulting, so explicit and plebeian, that the handsome Colonel Ypoustègue had crossed her threshold for the last time.
“My final romances,” Léa thought as she leaned on the window sill. But the fine weather in Paris; the sight of her clean, resonant courtyard and the laurels trimmed into spheres in their green planters; the warm, fragrant gust that issued from her bedroom and caressed the back of her neck: all this gradually filled her with mischievousness and good humor. Women’s silhouettes were passing by on their way down to the Bois. “Skirts
are changing again,” Léa noted, “and hats are getting taller.” She planned visits to the dressmaker and to Lewis’s; a sudden wish to be beautiful lifted her spirits.
“Beautiful? For whose sake? Why, for mine! And then, to irritate old lady Peloux.”
Léa was not unaware of Chéri’s escapade, but all she knew was that he had run away. Though she criticized Madame Peloux’s detective tactics, she would permit a young milliner, whom she spoiled, to display her skillful gratitude in the form of gossip, either poured into Léa’s ears during fittings or sent, along with “a thousand thanks for the delicious chocolates,” scrawled across a large sheet of business letterhead paper. A postcard from
vieille Lili avait rejoint Léa à Cambo, carte postale où la folle aïeule, sans points ni virgules et d’une écriture tremblée, contait une incompréhensible histoire d’amour, d’évasion, de jeune épouse séquestrée à Neuilly. . . .
“Il faisait un temps pareil, se rappela Léa, le matin où je lisais la carte postale de la vieille Lili, dans mon bain, à Cambo. . . .”
Elle revoyait la salle de bains jaune, le soleil dansant sur l’eau et au plafond. Elle entendait les échos de la villa mince et sonore rejeter un grand éclat de rire assez féroce et pas très spontané, le sien, puis les appels qui l’avaient suivi: “Rose! . . . Rose! . . .”
Les épaules et les seins hors de l’eau, ressemblant plus que jamais — ruisselante et robuste et son bras magnifique étendu, — à une figure de fontaine, elle agitait au bout de ses doigts le carton humide:
“Rose, Rose! Chéri. . . . Monsieur Peloux a fichu le camp! Il a laissé sa femme!
— Madame ne m’en voit pas surprise, disait Rose; le divorce sera plus gai que le mariage, où ils portaient tous le diable en terre. . . .”
Cette journée-là, une hilarité incommode accompagna Léa:
“Ah! mon poison d’enfant! Ah! le mauvais gosse! Voyez-vous! . . .”
Et elle secouait la tête en riant tout bas, comme fait une mère dont le fils a découché pour la première fois. . . .
Un phaéton verni fila devant la grille, étincela et disparut, presque silencieux sur ses roues caoutchoutées et les pieds fins de ses trotteurs.
“Tiens, Spéleïeff, constata Léa. Brave type. Et voilà Merguilier sur son cheval pie: onze heures. Berthellemy-le-Desséché va suivre et aller dégeler ses os au Sentier de la vertu. . . . C’est curieux ce que les gens peuvent faire la même chose toute la vie. On croirait que je n’ai pas quitté Paris si Chéri était là. Mon pauvre Chéri, c’est fini de lui, à présent. La noce, les femmes, manger à n’importe quelle heure, boire trop. . . . C’est dommage. Qui sait s’il n’aurait pas fait un brave homme, s’il avait seulement eu une bonne petite gueule rose de charcutier et les pieds plats? . . .”
Elle quitta la fenêtre en frottant ses coudes engourdis, haussa les épaules: “On sauve Chéri une fois, mais pas deux”. Elle polit ses ongles, souffla: “ha” sur une bague ternie, mira de près le rouge mal réussi de ses cheveux et leurs racines blanchissantes, nota quelques lignes sur un carnet. Elle agissait très vite et moins posément que
old Lili had reached Léa in Cambo, a postcard in which the eccentric old girl, in a shaky hand and using no periods or commas, narrated an incomprehensible story of love, of escape, of a young wife interned at Neuilly . . .
“The weather was like this,” Léa recalled, “the morning I read that postcard from old Lili, in my bathtub at Cambo . . .”
She saw once again the yellow bathroom, the sunlight dancing on the bath water and on the ceiling. She heard the echoes in the thin-walled, resonant villa reverberating a loud burst of laughter, quite ferocious and not too spontaneous, her own laughter, then the calls that had followed it: “Rose! . . . Rose! . . .”
Her shoulders and breasts out of the water, dripping, robust, her magnificent arm outstretched, looking more than ever like a fountain sculpture, she was waving the damp card with her fingertips:
“Rose, Rose! Chéri . . . Monsieur Peloux has taken a powder! He’s left his wife!”
“I can’t say it surprises me, madame,” Rose said. “His divorce will be more cheerful than his wedding, where everyone seemed as sad as at a funeral . . .”
That day, a troubling hilarity had never deserted Léa:
“Oh, that devil of a boy! Oh, that naughty kid! Just look! . . .”
And she’d shake her head while laughing very quietly, just as a mother does when her son spends the night away from home with a woman for the first time . . .
A polished phaeton pulled up in front of the gate, gleamed, and then vanished almost noiselessly on its rubber-tired wheels, to the soft pacing of its trotting horses.
“What do you know! Speleyev,” Léa noted. “A swell guy. And there’s Merguilier on his piebald horse: eleven o’clock. Dried-up Berthellemy will come next, on his way to thaw out his bones on the Path of Virtue . . . Strange how people can keep doing the same thing all of their life. You’d think I’d never left Paris, except that Chéri’s not here. Poor Chéri, it’s all up with him at the moment. Carousing, women, eating at all hours, drinking too much . . . It’s a shame. He might have become a solid citizen if he’d only had a nice little red face like a butcher and flat feet . . .”
She left the window, rubbing her elbows, which had grown numb, and she shrugged her shoulders. “Chéri can be rescued once, but not twice.” She polished her nails, blew “ha!” on a tarnished ring, studied up close the unsuccessful red dye on her hair with its gray roots, and wrote a few lines in a notebook. She was moving very quickly and less calmly than
d’habitude, pour lutter contre une atteinte sournoise d’anxiété qu’elle connaissait bien et qu’elle nommait — niant jusqu’au souvenir de son chagrin—son mal de cœur moral. Elle eut envie, en peu d’instants et par saccades, d’une victoria bien suspendue, attelée d’un cheval de douairière, puis d’une automobile extrêmement rapide, puis d’un mobilier de salon directoire. Elle songea même à modifier sa coiffure qu’elle portait haute depuis vingt ans et dégageant la nuque. “Un petit rouleau bas, comme Lavallière? . . . Ça me permettrait d’aborder les robes à ceinture lâche de cette année. En somme, avec un régime et mon henné bien refait, je peux prétendre encore à dix, — non, mettons cinq ans, de. . . .”
Un effort la remit en plein bon sens, en plein orgueil lucide.
“Une femme comme moi n’aurait pas le courage de finir? Allons, allons, nous en avons eu, ma belle, pour notre grade.” Elle toisait la grande Léa debout, les mains aux hanches et qui lui souriait.
“Une femme comme ça ne fait pas une fin dans les bras d’un vieux. Une femme comme ça, qui a eu la chance de ne jamais salir ses mains ni sa bouche sur une créature flétrie! . . . Oui, la voilà, la “goule” qui ne veut que de la chair fraîche. . . .”
Elle appela dans son souvenir les passants et les amants de sa jeunesse préservée des vieillards, et se trouva pure, fière, dévouée depuis trente années à des jouvenceaux rayonnants ou à des adolescents fragiles.
“Et c’est à moi qu’elle doit beaucoup, cette chair fraîche! Combien sont-ils à me devoir leur santé, leur beauté, des chagrins bien sains et des laits de poule pour leurs rhumes, et l’habitude de faire l’amour sans négligence et sans monotonie? . . . Et j’irais maintenant me pourvoir, pour ne manquer de rien dans mon lit, d’un vieux monsieur de . . . de. . . .”
Elle chercha et décida avec une inconscience majestueuse:
“Un vieux monsieur de quarante ans?”
Elle essuya l’une contre l’autre ses longues mains bien faites et se détourna dans une volte dégoûtée:
“Pouah! Adieu tout, c’est plus propre. Allons acheter des cartes à jouer, du bon vin, des marques de bridge, des aiguilles à tricoter, tous les bibelots qu’il faut pour boucher un grand trou, tout ce qu’il faut pour déguiser le monstre — la vieille femme. . . .”
En fait d’aiguilles à tricoter, elle eut maintes robes, et des saut-de-
usual, fighting against an u
nderhanded anxiety attack that she knew all too well, and that she called her mental heartburn, denying even the recollection of her disappointment in love. Within a few moments, by fits and starts, she wished for a victoria with good springs and with a dowager’s placid horse harnessed to it, then for an extremely fast car, then for a Directoire drawing-room ensemble. She even thought about changing the style of her hair, which she had been wearing upswept for twenty years, leaving the back of her neck free. “A little roll of hair down low, like Lavallière?12 That would allow me to try this year’s dresses with their loose belts. All in all, if I go on a diet and dye my hair properly, I can still look forward to ten—no, let’s say, five years of . . .”
Just one effort restored all of her good sense and clear-sighted pride.
“Shouldn’t a woman like me have the courage to call it quits? Come now, admit it, dear, we’ve had all that we could ask.” She ran her eyes over that tall Léa, standing with hands on hips and smiling back at her.
“A woman like this doesn’t finish her career in the arms of an old man. A woman like this who’s had the luck never to dirty her hands or lips on a soiled creature! . . . Yes, here she is, the ‘ghoul’ who insists on young flesh . . .”
She recalled to mind the transitory and the more permanent lovers of her younger days, which had been kept safe from old men, and she found herself pure, proud, a woman who had devoted herself for thirty years to glorious young men or vulnerable adolescents.
“And that young flesh owes a lot to me! How many men owe me their good health and good looks, their healthy heartaches and egg nogs for their colds, and their training in making love skillfully and avoiding monotony? . . . And am I now, just to keep from having an empty bed, to saddle myself with some old gent who’s . . . who’s . . .”
She thought for a moment, then declared with a majestic lack of self-recognition: