Cheri (Dual-Language) Read online

Page 4


  “Beautiful . . . ,” Léa said to herself while going upstairs to the boudoir. No. Not anymore. Now I need to have white linen showing near my face, and a very pale pink in my underthings and boudoir wraps. Beautiful . . . Bah . . . I scarcely need to be anymore . . .”

  And yet, she didn’t permit herself any nap in her boudoir, with its painted silks, after her coffee and newspapers. And it was with a grimly determined expression that she instructed her chauffeur:

  “To Madame Peloux’s.”

  The avenues of the Bois, dry beneath their new June foliage faded by the wind; the tollhouse gate; Neuilly; the Boulevard d’Inkermann . . . “How many times have I made this trip?” Léa wondered. She counted, then got tired of counting; soon, treading cautiously on Madame Peloux’s gravel path, she listened to the sounds coming from the house.

  “They’re in the garden room,” she said.

  She had put on more powder before arriving and had pulled the blue veil, a netting subtle as a mist, down over her chin. And she replied to the footman who invited her to walk through the house:

  “No, I prefer to go around by way of the garden.”

  A true garden, almost a park, insulated the all-white house from its surroundings; it was a vast villa typical of a major Parisian suburb. Madame Peloux’s villa was called a “country estate” in the days when Neuilly was still outside of Paris. The stables, turned into garages, the outbuildings with their kennels and washhouses, bore witness to this, as did the dimensions of the billiard room, the vestibule, and the dining room.

  “Madame Peloux has her money’s worth here,” piously repeated the elderly female hangers-on who, in return for a dinner and a liqueur,

  de fine, tenir en face d’elle les cartes du bésigue et du poker. Et elles ajoutaient: “Mais où Madame Peloux n’a-t-elle pas d’argent?”

  En marchant sous l’ombre des acacias, entre des massifs embrasés de rhododendrons et des arceaux de roses, Léa écoutait un murmure de voix, percé par la trompette nasillarde de Mme Peloux et l’éclat de rire sec de Chéri.

  “Il rit mal, cet enfant”, songea-t-elle. Elle s’arrêta un instant, pour entendre mieux un timbre féminin nouveau, faible, aimable, vite couvert par la trompette redoutable.

  “Ça, c’est la petite”, se dit Léa.

  Elle fit quelques pas rapides et se trouva au seuil d’un hall vitré, d’où Mme Peloux s’élança en criant:

  “Voici notre belle amie!”

  Ce tonnelet, Mme Peloux, en vérité Mlle Peloux, avait été danseuse, de dix à seize ans. Léa cherchait parfois sur Mme Peloux ce qui pouvait rappeler l’ancien petit Éros blond et potelé, puis la nymphe à fossettes, et ne retrouvait que les grands yeux implacables, le nez délicat et dur, et encore une manière coquette de poser les pieds en “cinquième” comme les sujets du corps de ballet.

  Chéri, ressuscité du fond d’un rocking, baisa la main de Léa avec une grâce involontaire, et gâta son geste par un:

  “Flûte! tu as encore mis une voilette, j’ai horreur de ça.

  — Veux-tu la laisser tranquille! intervint Mme Peloux. On ne demande pas à une femme pourquoi elle a mis une voilette! Nous n’en ferons jamais rien”, dit-elle tendrement a Léa.

  Deux femmes s’étaient levées dans l’ombre blonde du store de paille. L’une, en mauve, tendit assez froidement sa main à Léa, qui la contempla des pieds à la tête.

  “Mon Dieu, que vous êtes belle, Marie-Laure, il n’y a rien d’aussi parfait que vous!”

  Marie-Laure daigna sourire. C’était une jeune femme rousse, aux yeux bruns, qui émerveillait sans geste et sans paroles. Elle désigna, comme par coquetterie, l’autre jeune femme:

  “Mais reconnaîtrez-vous ma fille Edmée?” dit-elle.

  Léa tendit vers la jeune fille une main qu’on tarda à prendre:

  “J’aurais dû vous reconnaître, mon enfant, mais une pensionnaire change vite, et Marie-Laure ne change que pour déconcerter chaque fois davantage. Vous voilà libre de tout pensionnat?

  — Je crois bien, je crois bien, s’écria Mme Peloux. On ne peut pas

  used to play bezique and poker with her. And they’d add: “But where hasn’t Madame Peloux got money invested?”

  While walking beneath the shade of the acacias, among glowing clumps of rhododendrons and bowers of roses, Léa was listening to a murmur of voices which was pierced by Madame Peloux’s nasal, trumpet-like tones and a burst of Chéri’s harsh laughter.

  “That boy has a bad laugh,” she thought. She stopped for a moment in order to make out more clearly a new female tone, soft and charming, which was quickly smothered by the fearful trumpet.

  “That’s the girl,” Léa said to herself.

  She took a few rapid steps and arrived at the threshold of a glass-walled garden room, from which Madame Peloux darted out, shouting:

  “Here’s our lovely friend!”

  That rolypoly, Madame Peloux (in actuality, Mademoiselle Peloux), had been a ballerina from ages ten to sixteen. At times Léa would examine Madame Peloux, looking for some reminder of the former little chubby blond Eros, or the later dimpled nymph, but all she could rediscover was the large, implacable eyes, the delicate but firm nose, and the lingering coquettish mannerism of placing her feet in the fifth position, like a member of the corps de ballet.

  Chéri, rising from the seat of a rocking-chair, kissed Léa’s hand with unaffected grace, but spoiled his gesture by saying:

  “Darn! You’ve put on a veil again. I hate that.”

  “Oh, leave her alone!” Madame Peloux intervened. “A woman is never asked why she’s put on a veil! We’ll never do anything with him,” she said tenderly to Léa.

  Two women had gotten up in the pale yellow shade of the straw blinds. One, dressed in mauve, very coldly held out one hand to Léa, who looked her over from head to foot.

  “Lord, how beautiful you are, Marie-Laure, nothing is as perfect as you!”

  Marie-Laure condescended to smile. She was a redheaded young woman with brown eyes, who cast a spell without words or gestures. As if out of coquetry, she indicated the other young woman.

  “But would you recognize my daughter Edmée?” she asked.

  Léa held out her hand to the girl, who was slow to take it.

  “I should have recognized you, child, but a schoolgirl changes quickly, and Marie-Laure changes only to disconcert people more every time. Are you all through with boarding school?”

  “I think so, I think so,” cried Madame Peloux. “That charm, that

  laisser sous le boisseau éternellement ce charme, cette grâce, cette merveille de dix-neuf printemps!

  — Dix-huit, dit suavement Marie-Laure.

  — Dix-huit, dix-huit! . . . Mais oui, dix-huit! Léa, tu te souviens? Cette enfant faisait sa première communion l’année où Chéri s’est sauvé du collège, tu sais bien? Oui, mauvais garnement, tu t’étais sauvé et nous étions aussi affolées l’une que l’autre!

  — Je me souviens très bien, dit Léa, et elle échangea avec Marie-Laure un petit signe de tête,—quelque chose comme le “touché” des escrimeurs loyaux.

  — Il faut la marier, il faut la marier! continua Mme Peloux qui ne répétait jamais moins de deux fois une vérité première. Nous irons tous à la noce!”

  Elle battit l’air de ses petits bras et la jeune fille la regarda avec une frayeur ingénue.

  “C’est bien une fille pour Marie-Laure, songeait Léa très attentive. Elle a, en discret, tout ce que sa mère a d’éclatant. Des cheveux mousseux, cendrés, comme poudrés, des yeux inquiets qui se cachent, une bouche qui se retient de parler, de sourire. . . . Tout à fait ce qu’il fallait à Marie-Laure, qui doit la haïr quand même. . . .”

  Mme Peloux interposa entre Léa et la jeune fille un sourire maternel:

  “Ce qu’ils ont déjà camaradé dans le jardin, ces deux enfants-là!”

  Elle désignait Chéri, debout devant la paroi vitrée et fumant. Il tenait son fume-cigarette entre les dents et rejetait la tête
en arrière pour éviter la fumée. Les trois femmes regardèrent le jeune homme qui, le front renversé, les cils mi-clos, les pieds joints et immobiles, semblait pourtant une figure ailée, planante et dormante dans l’air. . . . Léa ne se trompa point à l’expression effarée, vaincue, des yeux de la jeune fille. Elle se donna le plaisir de la faire tressaillir en lui touchant le bras. Edmée frémit tout entière, retira son bras et dit farouchement tout bas:

  “Quoi? . . .

  — Rien, répondit Léa. C’est mon gant qui était tombé.

  — Allons, Edmée?” ordonna Marie-Laure avec nonchalance.

  La jeune fille, muette et docile, marcha vers Mme Peloux qui battit des ailerons:

  “Déjà? Mais non! On va se revoir! on va se revoir!

  — Il est tard, dit Marie-Laure. Et puis, vous attendez beaucoup de gens, le dimanche après-midi. Cette enfant n’a pas l’habitude du monde. . . .

  grace, that marvel of nineteen springs, can’t be hidden beneath a bushel forever!”

  “Eighteen springs,” said Marie-Laure gently.

  “Eighteen, eighteen! . . . Of course, eighteen! Remember, Léa? This child was taking her First Communion the year that Chéri ran away from school, right? Yes, you bad boy, you ran away and both of us women were scared out of our wits!”

  “I remember quite well,” said Léa, exchanging a slight nod with Marie-Laure, something like a “touché” called out by an honest fencer.

  “She must get married, she must get married,” continued Madame Peloux, who never uttered a commonplace less than twice. “We’ll all go to the wedding!”

  She fanned the air with her short arms, and the girl looked at her in naïve dismay.

  “She’s the kind of daughter just right for Marie-Laure,” thought Léa, studying her. “She possesses discreetly everything her mother possesses in a flashy way. Fluffy ash-blond hair, as if powdered, restless eyes that look away from you, a mouth that refrains from speaking or smiling . . . Just what Marie-Laure needed, though she must hate the girl anyway . . .”

  Madame Peloux interposed a maternal smile between Léa and the girl:

  “How chummy those two youngsters were in the garden before!”

  She was pointing to Chéri, who was standing in front of the glass wall, smoking. His cigarette holder was clenched in his teeth, and his head was thrown back to avoid the smoke. The three women looked at the young man, who, though his head was leaning back, his eyes half-closed and his motionless feet close together, nevertheless resembled a winged figure, hovering somnolently in the air . . . Léa wasn’t mistaken about the frightened, vanquished expression in the girl’s eyes. She gave herself the pleasure of making her jump by touching her arm. Edmée shuddered all over, withdrew her arm, and said wildly, very low:

  “What is it?”

  “Nothing,” Léa replied. “My glove fell.”

  “Shall we go, Edmée?” Marie-Laure asked commandingly, though nonchalantly.

  The girl, taciturn and docile, walked up to Madame Peloux, who was flapping her pinions:

  “So soon? Oh, no! Let’s get together again! Let’s get together again!”

  “It’s late,” said Marie-Laure. “Besides, you must be expecting lots of people on a Sunday afternoon. My daughter isn’t used to society . . .”

  — Oui, oui, cria tendrement Mme Peloux, elle a vécu si enfermée, si seule!”

  Marie-Laure sourit, et Léa la regarda pour dire: “A vous!”

  “. . . Mais nous reviendrons bientôt.

  — Jeudi, jeudi! Léa, tu viens déjeuner aussi, jeudi?

  — Je viens”, répondit Léa.

  Chéri avait rejoint Edmée au seuil du hall, où il se tenait auprès d’elle, dédaigneux de toute conversation. Il entendit la promesse de Léa et se retourna:

  “C’est ça. On fera une balade, proposa-t-il.

  — Oui, oui, c’est de votre âge, insista Mme Peloux attendrie. Edmée ira avec Chéri sur le devant, il nous mènera, et nous irons au fond, nous autres. Place à la jeunesse! Place à la jeunesse! Chéri, mon amour, veux-tu demander la voiture de Marie-Laure?”

  Encore que ses petits pieds ronds chavirassent sur les graviers, elle emmena ses visiteuses jusqu’au tournant d’une allée, puis les abandonna à Chéri. Quand elle revint, Léa avait retiré son chapeau et allumé une cigarette.

  “Ce qu’ils sont jolis, tousles deux! haleta Mme Peloux. Pas, Léa?

  — Ravissants, souffla Léa avec un jet de fumée. Mais c’est cette Marie-Laure . . .”

  Chéri rentrait:

  “Qu’est-ce qu’elle a fait, Marie-Laure? demanda-t-il.

  — Quelle beauté!

  — Ah! . . . Ah! . . . approuva Mme Peloux, c’est vrai, c’est vrai . . . qu’elle a été bien jolie!”

  Chéri et Léa rirent en se regardant.

  “A été!” souligna Léa. Mais c’est la jeunesse même! Elle n’a pas un pli! Et elle peut porter du mauve tendre, cette sale couleur que je déteste et qui me le rend!”

  Les grands yeux impitoyables et le nez mince se détournèrent d’un verre de fine:

  “La jeunesse même! la jeunesse même! glapit Mme Peloux. Pardon! pardon! Marie-Laure a eu Edmée en 1895, non, 14. Elle avait à ce moment-là fichu le camp avec un professeur de chant et plaqué Khalil-Bey qui lui avait donné le fameux diamant rose que. . . . Non! non! . . . Attends! . . . C’est d’un an plus tôt! . . .”

  Elle trompettait fort et faux. Léa mit une main sur son oreille et Chéri déclara, sentencieux:

  “Ça serait trop beau, un après-midi comme ça, s’il n’y avait pas la voix de ma mère.”

  “Yes, yes,” Madame Peloux shouted tenderly, “she’s lived so shut up, so alone!”

  Marie-Laure smiled, and Léa looked at her as if to say: “So much for you!”

  “. . . But we’ll be back soon.”

  “Thursday, Thursday! Léa, will you come for lunch, too, on Thursday?”

  “I will,” Léa replied.

  Chéri had caught up with Edmée at the entrance to the garden room, where he was standing near her, scorning to indulge in conversation. He heard Léa’s promise and turned around:

  “Right! We’ll go out for a ride,” he suggested.

  “Yes, yes, that suits your age,” Madame Peloux insisted in a heartfelt voice. “Edmée will sit up front with Chéri, he’ll drive, and the rest of us will sit in the back. Make way for youth! Make way for youth! Chéri darling, please go ask for Marie-Laure’s car.”

  Her little round feet floundering on the gravel, she accompanied her two guests to a bend in the walk, then consigned them to Chéri. When she returned, Léa had taken off her hat and had lit a cigarette.

  “How good-looking both children are!” Madame Peloux panted. “Aren’t they, Léa?”

  “Ravishing,” said Léa, exhaling a puff of smoke. “But that Marie-Laure!”

  Coming back in, Chéri asked:

  “What did Marie-Laure do?”

  “How beautiful she is!”

  “Oh! . . . Oh! . . .” Madame Peloux agreed, “it’s true, it’s true . . . she used to be very pretty!”

  Chéri and Léa looked at each other and laughed.

  “Used to be!” Léa said with emphasis. “But she’s the embodiment of youth! She doesn’t have a wrinkle! And she can wear light mauve, that vile color which I hate, and which hates me back!”

  The large, merciless eyes and the thin nose turned away from her glass of brandy.

  “The embodiment of youth! The embodiment of youth!” Madame Peloux yelped. “Excuse me! Excuse me! Marie-Laure had Edmée in 1895—no, ’94. At the time she had run away with a singing instructor and had jilted Khalil-Bey, who had given her that much-discussed pink diamond which . . . No, no! . . . Wait! . . . That was a year earlier!”

  Her trumpet was loud and off-key. Léa put one hand to an ear, and Chéri declared sententiously:

  “An afternoon like this would be too beautiful, if it weren’t for my mother’s voice.”

  Elle regarda so
n fils sans colère, habituée à son insolence, s’assit dignement, les pieds ballants, au fond d’une bergère trop haute pour ses jambes courtes. Elle chauffait dans sa main un verre d’eau-de-vie. Léa, balancée dans un rocking, jetait de temps en temps les yeux sur Chéri, Chéri vautré sur le rotin frais, son gilet ouvert, une cigarette à demi éteinte à la lèvre, une mèche sur le sourcil, — et elle le traitait flatteusement, tout bas, de belle crapule.

  Ils demeuraient côte à côte, sans effort pour plaire ni parler, paisibles et en quelque sorte heureux. Une longue habitude l’un de l’autre les rendait au silence, ramenait Chéri à la veulerie et Léa à la sérénité. A cause de la chaleur qui augmentait, Mme Peloux releva jusqu’aux genoux sa jupe étroite, montra ses petits mollets de matelot, et Chéri arracha rageusement sa cravate, geste que Léa blâma d’un: “Tt . . . tt . . .” de langue.

  “Oh! laisse-le, ce petit, protesta, comme du fond d’un songe, Mme Peloux. Il fait si chaud. . . . Veux-tu un kimono, Léa?

  — Non, merci. Je suis très bien.”

  Ces abandons de l’après-midi l’écœuraient. Jamais son jeune amant ne l’avait surprise défaite, ni le corsage ouvert, ni en pantoufles dans le jour. “Nue, si on veut”, disait-elle, “mais pas dépoitraillée”. Elle reprit son journal illustré et ne le lut pas. “Cette mère Peloux et son fils”, songeait-elle, “mettez-les devant une table bien servie ou menezles à la campagne, — crac: la mère ôte son corset et le fils son gilet. Des natures de bistrots en vacances.” Elle leva les yeux vindicativement sur le bistrot incriminé et vit qu’il dormait, les cils rabattus sur ses joues blanches, la bouche close. L’arc délicieux de la lèvre supérieure, éclairé par en dessous, retenait à ses sommets deux points de lumière argentée, et Léa s’avoua qu’il ressemblait beaucoup plus à un dieu qu’à un marchand de vins. Sans se lever, elle cueillit délicatement entre les doigts de Chéri une cigarette fumante, et la jeta au cendrier. La main du dormeur se détendit et laissa tomber comme des fleurs lasses ses doigts fuselés, armés d’ongles cruels, main non point féminine, mais un peu plus belle qu’on ne l’eût voulu, main que Léa avait cent fois baisée sans servilité, baisée pour le plaisir, pour le parfum. . . .