Cheri Read online
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“Chéri, pourquoi bois-tu de la fine? grondait Léa.
— Pour ne pas faire affront à Mame Peloux qui boirait seule, répondait Chéri.
— Qu’est-ce que tu fais, demain?
— Sais pas, et toi?
— Je vais partir pour la Normandie.
— Avec?
— Ça ne te regarde pas.
— Avec notre brave Spéleïeff?
— Penses-tu, il y a deux mois que c’est fini, tu retardes. Il est en Russie, Spéleïeff.
— Mon Chéri, où as-tu la tête! soupira Mme Peloux. Tu oublies le charmant dîner de rupture que nous a offert Léa le mois dernier. Léa, tu ne m’as pas donné la recette des langoustines qui m’avaient tellement plu!”
Chéri se redressa, fit briller ses yeux:
“Oui, oui, des langoustines avec une sauce crémeuse, oh! j’en voudrais!
— Tu vois, reprocha Mme Peloux, lui qui a si peu d’appétit, il aurait mangé des langoustines. . . .
— La paix! commanda Chéri. Léa, tu vas sous les ombrages avec Patron?
— Mais non, mon petit; Patron et moi, c’est de l’amitié. Je pars seule.
— Femme riche, jeta Chéri.
—Je t’emmène, situ veux, on ne fera que manger, boire, dormir. . . .
— C’est où, ton patelin?”
Il s’était levé et planté devant elle.
“Tu vois Honfleur? la côte de Grâce? Oui? . . . Assieds-toi, tu es vert. Tu sais bien, sur la côte de Grâce, cette porte charretière devant laquelle nous disions toujours en passant, ta mère et moi. . . .”
Elle se tourna du côté de Mme Peloux: Mme Peloux avait disparu.
evening would follow . . .), even though they were so wary of each other. Both of them were looking at the silent Chéri, and Madame Peloux, who had neither the strength nor the authority to look after her son properly, contented herself with hating Léa a little every time a gesture brought Léa’s white neck and ruddy cheek close to Chéri’s pale cheek and translucent ear. She would gladly have cut that robust feminine throat, on which wrinkles were beginning to mortify the flesh, in order to dye with red his slender greenish-white face—but it never even entered her mind that she could take her beloved son to the country for his health.
“Chéri, why do you drink brandy?” Léa was scolding.
“So as not to make Ma’me Peloux feel bad for drinking alone,” Chéri replied.
“What are you doing tomorrow?”
“Dunno. What about you?”
“I’m taking a trip to Normandy.”
“Who with?”
“That’s none of your business.”
“With good old Speleyev?”
“No, no, that’s been over with for two months now. You’re behind the times. Speleyev is in Russia.”
“Chéri, you have no memory!” Madame Peloux sighed. “You’ve forgotten that charming end-of-the-affair dinner that Léa gave us last month. Léa, you still haven’t given me the recipe for those langoustines that I liked so much!”
Chéri sat up straight, his eyes flashing:
“Yes, yes, langoustines in a cream sauce. How I’d like some!”
“You see,” said Madame Peloux reproachfully, “he has almost no appetite, but he’d eat langoustines . . .”
“Quiet!” Chéri ordered. “Léa, is it Patron you’re going to the sticks with?”
“Of course not, child. Patron and I are just friends. I’m going alone.”
“Rich woman!” Chéri exclaimed.
“I’ll take you along if you like; we’ll do nothing but eat, drink, sleep . . .”
“Where is this little burg of yours?”
“You know Honfleur? The Côte de Grâce? Do you? . . . Sit down, you look green. You know, on the Côte de Grâce, that carriage gate in front of which your mother and I always used to say when we passed by . . .”
She turned to face Madame Peloux: Madame Peloux had vanished.
Ce genre de fuite discrète, cet évanouissement étaient si peu en accord avec les coutumes de Charlotte Peloux, que Léa et Chéri se regardèrent en riant de surprise. Chéri s’assit contre Léa.
“Je suis fatigué, dit-il.
— Tu t’abîmes”, dit Léa.
Ilse redressa, vaniteux:
“Oh! tu sais, je suis encore assez bien.
— Assez bien . . . peut-être pour d’autres . . . mais pas . . . pas pour moi, par exemple.
— Trop vert?
— Juste le mot que je cherchais. Viens-tu à la campagne, en tout bien tout honneur? Des bonnes fraises, de la crème fraîche, des tartes, des petits poulets grillés. . . . Voilà un bon régime, et pas de femmes!”
Ilse laissa glisser sur l’épaule de Léa et ferma les yeux.
“Pas de femmes. . . . Chouette. . . . Léa, dis, es-tu un frère? Oui? Eh bien, partons, les femmes . . . j’en suis revenu. . . . Les femmes . . . je les ai vues.”
Il disait ces choses basses d’une voix assoupie, dont Léa écoutait le son plein et doux et recevait le souffle tiède sur son oreille. Il avait saisi le long collier de Léa et roulait les grosses perles entre ses doigts. Elle passa son bras sous la tête de Chéri et le rapprocha d’elle, sans arrière-pensée, confiante dans l’habitude qu’elle avait de cet enfant, et elle le berça.
“Je suis bien, soupira-t-il. T’es un frère, je suis bien. . . .”
Elle sourit comme sous une louange très précieuse. Chéri semblait s’endormir. Elle regardait de tout près les cils brillants, comme mouillés, rabattus sur la joue, et cette joue amaigrie qui portait les traces d’une fatigue sans bonheur. La lèvre supérieure, rasée du matin, bleuissait déjà, et les lampes roses rendaient un sang factice à la bouche. . . .
“Pas de femmes! déclara Chéri comme en songe. Donc . . . embrasse-moi!”
Surprise, Léa ne bougea pas.
“Embrasse-moi, je te dis!”
Il ordonnait, les sourcils joints, et l’éclat de ses yeux soudain rouverts gêna Léa comme une lumière brusquement rallumée. Elle haussa les épaules et mit un baiser sur le front tout proche. Il noua ses bras au cou de Léa et la courba vers lui.
Elle secoua la tête, mais seulement jusqu’à l’instant où leurs bouches se touchèrent; alors, elle demeura tout à fait immobile et retenant son souffle comme quelqu’un qui écoute. Quand il la lâcha,
That sort of discreet escape, that disappearance, were so unlike Charlotte Peloux’s ways that Léa and Chéri looked at each other and laughed in surprise. Chéri sat down next to Léa.
“I’m tired,” he said.
“You’re wearing yourself out,” Léa said.
He straightened up, feeling vain:
“Oh, I’m still in good enough shape, you know.”
“Good enough . . . maybe for others . . . but not . . . not for me, for example.”
“Too green?”
“Exactly the word I was looking for. Will you come to the country, with strictly honorable intentions? Good strawberries, fresh cream, pies, little grilled chickens . . . That’s a good diet, and no women!”
He let himself slide down onto Léa’s shoulder, and he closed his eyes.
“No women . . . Terrific . . . Léa, tell me, are you a brother to me? Are you? All right, good-bye, women . . . I’ve gotten over them . . . Women . . . I’ve seen them.”
He made those coarse remarks in a calm voice. Léa listened to his rich, soft tones and felt his warm breath on her ear. He had grasped Léa’s long necklace and was rolling the large pearls in his fingers. She put her arm under Chéri’s head, pulled him near her—with no ulterior motive, trusting in her long acquaintance with this child—and rocked him.
“I feel good,” he sighed. “You’re a brother, I feel good . . .”
She smiled as if she had been given rare praise. Chéri seemed to be falling asleep. At close range she looked at his lashes, which, gleaming as if wet, had fallen onto his cheeks, and at those emaciated cheeks, which bore the marks of a strain that had brought no happiness.
His upper lip, which had been shaved that morning, was already turning blue, and the pink lamps gave his mouth a ruddiness it didn’t really possess . . .
“No women!” Chéri declared, as if in a dream. “And so . . . kiss me!”
Léa was surprised and didn’t move.
“Kiss me, I say!”
He gave the order with knitted brows, and the flash of his suddenly reopened eyes dazzled Léa like a light hastily turned on. She shrugged her shoulders and planted a kiss on his forehead, which was so close. He threw his arms around Léa’s neck and drew her toward him.
She shook her head, but only at the moment when their lips met; after that, she remained completely motionless, holding her breath like a person listening attentively. When he released his grip, she
elle le détacha d’elle, se leva, respira profondément et arrangea sa coiffure qui n’était pas défaite. Puis elle se retourna un peu pâle et les yeux assombris, et sur un ton de plaisanterie:
“C’est intelligent!” dit-elle.
Il gisait au fond d’un rocking et se taisait en la couvant d’un regard actif, si plein de défi et d’interrogations qu’elle dit, après un moment:
“Quoi?
— Rien, dit Chéri, je sais ce que je voulais savoir.”
Elle rougit, humiliée, et se défendit adroitement:
“Tu sais quoi? que ta bouche me plaît? Mon pauvre petit, j’en ai embrassé de plus vilaines. Qu’est-ce que ça te prouve? Tu crois que je vais tomber à tes pieds et crier: prends-moi! Mais tu n’as donc connu que des jeunes filles? Penser que je vais perdre la tête pour un baiser! . . .”
Elle s’était calmée en parlant et voulait montrer son sang-froid.
“Dis, petit, insista-t-elle en se penchant sur lui, crois-tu que ce soit quelque chose de rare dans mes souvenirs, une bonne bouche?”
Elle lui souriait de haut, sûre d’elle, mais elle ne savait pas que quelque chose demeurait sur son visage, une sorte de palpitation très faible, de douleur attrayante, et que son sourire ressemblait à celui qui vient après une crise de larmes.
“Je suis bien tranquille, continua-t-elle. Quand même je te rembrasserais, quand même nous. . . .”
Elle s’arrêta et fit une moue de mépris.
“Non, décidément, je ne vous vois pas dans cette attitude-là.
— Tu ne nous voyais pas non plus dans celle de tout à l’heure, dit Chéri sans se presser. Et pourtant, tu l’as gardée un bon bout de temps. Tu y penses donc, à l’autre? Moi, je ne t’en ai rien dit.”
Ils se mesurèrent en ennemis. Elle craignit de montrer un désir qu’elle n’avait pas eu le temps de nourrir ni de dissimuler, elle en voulut à cet enfant, refroidi en un moment et peut-être moqueur.
“Tu as raison, concéda-t-elle légèrement. N’y pensons pas. Je t’offre, nous disions donc, un pré pour t’y mettre au vert, et une table. . . . La mienne, c’est tout dire.
— On peut voir, répondit Chéri. J’amènerais la Renouhard découverte?
— Naturellement, tu ne la laisserais pas à Charlotte.
— Je paierai l’essence, mais tu nourriras le chauffeur.”
Léa éclata de rire.
pushed him away from her, got up, took a deep breath, and straightened her hair, which hadn’t been mussed. Then she turned around, a little pale and her eyes darkened, and said in a joking tone:
“That was clever!”
He was slumped in a rocking-chair, silent as he leveled a lively gaze at her, a gaze so full of challenge and inquiry that she said, after a moment:
“What is it?”
“Nothing,” said Chéri, “I now know what I wanted to know.”
She blushed with humiliation and defended herself adroitly:
“What is it that you know? That I like your lips? Poor boy, I’ve kissed uglier ones. What does that prove to you? You think I’m going to fall at your feet and shout: ‘Take me!’ But is it only young girls that you’ve known? To imagine that I’m going to lose my head over a kiss! . . .”
While speaking she had calmed down, and wanted to show how cool and collected she was.
“Tell me, sonny,” she continued, leaning over him, “do you think that a good pair of lips is something rare among my memories?”
She was smiling at him in a superior way, sure of herself, but she was unaware that her face retained some trace of the experience, a sort of very weak palpitation and attractive sorrow, and that her smile resembled the smile that follows a crying jag.
“I’m perfectly calm,” she went on. “Even if I were to kiss you again, even if we . . .”
She stopped and made a contemptuous face.
“No, definitely, I don’t see you in that position.”
“You didn’t see us in the position we were in a few minutes ago, either,” said Chéri unhurriedly. “And yet you kept it up for quite some time. And so, you’re thinking about the other thing? I never mentioned it to you myself.”
They studied each other like enemies. She was afraid to manifest a desire that she hadn’t had time either to foster or to hide. She was cross with that child, who had cooled down in an instant and was possibly making fun of her.
“You’re right,” she admitted offhandedly. “Let’s not think about it. Well, as we were saying, I’m offering you a place where you can put yourself out to pasture, and I’m offering good cooking—my kind of cooking, and that says it all.”
“It’s a possibility,” Chéri replied. “Could I take the open Renouhard?”
“Naturally. You wouldn’t leave that for Charlotte.”
“I’ll pay for the gasoline, but you’ll give the chauffeur his meals.”
Léa burst out laughing.
“Je nourrirai le chauffeur! Ah! ah! fils de Madame Peloux, va! Tu n’oublies rien. . . . Je ne suis pas curieuse, mais je voudrais entendre ce que ça peut être entre une femme et toi, une conversation amoureuse!”
Elle tomba assise et s’éventa. Un sphinx, de grands moustiques à longues pattes tournaient autour des lampes, et l’odeur du jardin, à cause de la nuit venue, devenait une odeur de campagne. Une bouf-fée d’acacia entra, si distincte, si active, qu’ils se retournèrent tous deux comme pour la voir marcher.
“C’est l’acacia à grappes rosées, dit Léa à demi-voix.
— Oui, dit Chéri. Mais comme il en a bu, ce soir, de la fleur d’oranger!”
Elle le contempla, admirant vaguement qu’il eût trouvé cela. Il respirait le parfum en victime heureuse, et elle se détourna, craignant soudain qu’il ne l’appelât; mais il l’appela quand même, et elle vint.
Elle vint à lui pour l’embrasser, avec un élan de rancune et d’égoïsme et des pensées de châtiment: “Attends, va. . . . C’est joliment vrai que tu as une bonne bouche, cette fois-ci, je vais en prendre mon content, parce que j’en ai envie, et je te laisserai, tant pis, je m’en moque, je viens. . . .”
Elle l’embrassa si bien qu’ils se délièrent ivres, assourdis, essoufflés, tremblant comme s’ils venaient de se battre. . . . Elle se remit debout devant lui qui n’avait pas bougé, qui gisait toujours au fond du fauteuil et elle le défiait tout bas: “Hein? . . . Hein? . . .” et elle s’attendait à être insultée. Mais il lui tendit les bras, ouvrit ses belles mains incertaines, renversa une tête blessée et montra entre ses cils l’étincelle double de deux larmes, tandis qu’il murmurait des paroles, des plaintes, tout un chant animal et amoureux où elle distinguait son nom, des “chérie . . .” des “viens . . .” des “plus te quitter . . .” un chant qu’elle écoutait penchée et pleine d’anxiété, comme si elle lui eût, par mégarde, fait très mal.
QUAND Léa se souvenait du premier été en Normandie, elle constatait avec équité: “Des nourrissons méchants, j’en ai eu de plus drôles que Chéri. De plus aimables aussi et de plus intelligents. Mais tout de même, je n’en ai pas eu comme celui-là.”
“C’est rigolo, confiait-elle, à la fin de cet été de 1906, à Berthellemy-le-Desséché, il y a des moments où je crois que je couche
avec un nègre ou un chinois.
“I’ll give the chauffeur his meals! Ha! Ha! You’re really Madame Peloux’s son! You don’t overlook a thing . . . I’m not curious, but I’d like to hear what a lovers’ conversation between a woman and you would be like!”
She dropped onto a chair and fanned herself. A hawkmoth and big, long-legged mosquitos were circling the lamps; and, because night had fallen, the fragrance of the garden was becoming a countryside fragrance. A whiff of acacia scent came in, so distinct and forceful that they both turned around as if to watch it proceeding through the room.
“It’s the acacia with pink clusters,” said Léa softly.
“Yes,” said Chéri. “But all the orange blossom it’s imbibed this evening!”
She gazed at him, vaguely admiring him for coming up with that. He was inhaling the scent like a willing victim, and she turned away, suddenly afraid he might call her; but he called her all the same, and she came.
She came to him to kiss him, with a spurt of resentment and selfishness, and with thoughts of punishing him: “Just wait . . . Yes, it’s true you have fine lips. For now, I’ll take my fill of them, because I feel like it, then I’ll leave you flat. Too bad about it, I don’t give a damn, here I come . . .”
She kissed him so hard that when they pulled apart they were intoxicated, deafened, breathless, trembling as if they had just been fighting . . . She stood up again in front of him; he hadn’t budged, but was still slumped deep in his armchair, while she was challenging him in a whisper: “Well? Well?” And she expected him to revile her. Instead, he held out his arms, opened his lovely, hesitant hands, threw back his head as if it had been wounded, and revealed between his lashes the double gleam of two tears, while he kept murmuring words, laments, a long animal chant of love, in which she could make out her name, “darling,” “come to me,” “never leave you”—a chant that she listened to while bending over him, filled with anxiety, as if she had inadvertently wounded him very severely.
WHENEVER Léa recalled that first summer in Normandy, she would note very honestly: “I’ve had more amusing nasty infants than Chéri is. Also, more likable ones and more intelligent ones. But, all the same, I’ve never had another one like him.”